La commande publique en mouvement
Le droit de la commande publique continue de se transformer, sous l’impulsion de la Direction des affaires juridiques (DAJ) du ministère de l’Économie. Le rapport d’activité 2024 publié par Bercy met en lumière une dynamique claire : simplifier, sécuriser et rendre plus durable la commande publique.
Cette évolution s’inscrit dans une logique double.
D’un côté, il s’agit de rendre les procédures plus accessibles aux acheteurs et aux opérateurs économiques, notamment aux PME, en fluidifiant les échanges, en réduisant les contraintes administratives et en accélérant les paiements.
De l’autre, la commande publique devient un levier stratégique de transition écologique et industrielle, en intégrant progressivement les exigences issues du règlement européen NZIA (Net Zero Industry Act) et du règlement SURMI (Situations d’Urgence et Résilience du Marché Intérieur).
1. Les évolutions clés dans le droit de la commande publique 2024
L’année 2024 a marqué une étape importante dans la modernisation du droit de la commande publique. Le rapport d’activité publié par la DAJ du ministère de l’Économie dresse un panorama riche des réformes engagées et des nouvelles orientations politiques et économiques.
Derrière la technicité des textes, un fil conducteur se dessine : rendre la commande publique plus simple, plus accessible et plus durable.
1.1. La simplification des procédures et des outils
L’un des objectifs majeurs de 2024 a été de faciliter la vie des acheteurs publics et des entreprises.
Plusieurs mesures vont dans ce sens :
- Généralisation du profil d’acheteur unique et gratuit PLACE : cette plateforme nationale devient l’outil central de publication et de gestion des procédures, pour harmoniser et simplifier les pratiques (obligatoire pour certaines personnes morales de droit public).
- Dispense de publicité et de mise en concurrence prolongée jusqu’au 31 décembre 2025 pour les marchés publics de travaux dont la valeur estimée est inférieure à 100 000 € HT (décret n° 2024-1217).
- Simplification et allègement des règles de constitution des groupements d’entreprises : Le décret n°2024-1251 assouplit considérablement les conditions dans lesquelles les candidats peuvent se constituer en groupement ou modifier la composition de celui-ci au cours des procédures incluant des phases de négociation ou de dialogue, favorisant ainsi la continuité de l’exécution et l’agilité contractuelle. Par exemple, le remplacement d’un membre du groupement en cours de négociation est désormais simplifié, alors qu’auparavant il fallait souvent repartir de zéro ou justifier de circonstances exceptionnelles, au risque de retarder voire d’interrompre la procédure. De même, l’ajout d’un nouveau partenaire pour compléter ou renforcer une compétence spécifique est désormais admis, alors qu’il était autrefois considéré comme une modification substantielle du groupement et donc prohibé.
Ces évolutions traduisent la volonté de réduire la complexité administrative et de rendre les marchés publics plus attractifs et accessibles notamment pour les TPE et PME qui peinent encore à y accéder.
1.2. Le renforcement du soutien aux PME
Dans un contexte économique marqué par la recherche de relance et de sécurisation des filières, plusieurs mesures ont été adoptées pour soutenir la trésorerie et la participation des entreprises :
- L’abaissement de la retenue de garantie de 5% à 3% pour les marchés publics conclus avec les petites et moyennes entreprises par certains grands acheteurs publics
- Le relèvement de 10% à 20% de la part minimale d’exécution confiée à une PME dans les marchés globaux, les marchés de partenariat et les contrats de concession constitue une autre mesure structurante.
Ces dispositions traduisent une reconnaissance accrue du rôle économique de la commande publique et de la nécessité d’en faire un levier de développement industriel et territorial.
1.3. L’intégration croissante des objectifs de durabilité et de résilience
La modernisation de la commande publique s’inscrit désormais dans une dynamique européenne ambitieuse, portée par deux règlements majeurs négociés en 2024.
- Le règlement SURMI (Situations d’Urgence et Résilience du Marché Intérieur) établit un cadre inédit pour mieux anticiper les crises futures, qu’elles soient sanitaires, environnementales ou économiques. Il reconnaît notamment la possibilité de passation conjointe de marchés entre la Commission européenne et les États membres volontaires, ouvrant la voie à une mutualisation stratégique des achats publics.
- Parallèlement, le règlement NZIA (Net Zero Industry Act) du 13 juin 2024 impose des obligations environnementales contraignantes pour les marchés intégrant des technologies vertes telles que le solaire, l’hydroélectrique ou les pompes à chaleur. Par exemple, le règlement impose aux autorités publiques de tenir compte dans leurs marchés, de critères autres que financiers tels que la durabilité, la résilience et la cybersécurité. Un deuxième objectif est de rapatrier la production des technologies vertes au sein de l’Union européenne, pour des raisons d’autonomie stratégique et d’empreinte carbone.
Ces exigences s’appliqueront progressivement : d’abord aux centrales d’achat pour les contrats supérieurs à 25 millions d’euros depuis le premier trimestre 2025, avant de concerner l’ensemble des contrats dépassant les seuils européens à partir de juillet 2026.
2. De la réforme à la pratique : pourquoi ces évolutions concernent directement le contract manager ?
Traditionnellement perçu comme le garant du bon déroulement de la phase d’exécution contractuelle, le contract manager voit aujourd’hui son périmètre s’élargir.
Les mutations du droit de la commande publique exigent non seulement une maîtrise juridique accrue, mais aussi une capacité d’adaptation stratégique tout au long du cycle de vie du contrat :
- Adapter les processus contractuels dès la phase de passation, en intégrant les exigences de durabilité et de résilience (clauses techniques, indicateurs environnementaux, plans de transition) et en anticipant les aménagements permis par les décrets de simplification (réduction de garanties, assouplissement des groupements…).
- Renforcer sa veille juridique et réglementaire, pour identifier rapidement l’impact des évolutions du Code de la commande publique, du NZIA, du SURMI et des actes d’exécution de la Commission européenne sur les obligations contractuelles.
- Anticiper et analyser les risques dès la négociation, en réalisant une due diligence approfondie sur les engagements environnementaux, la résilience aux crises et la sécurité des données.
- Piloter et suivre l’exécution via la plateforme PLACE et des tableaux de bord numériques, en garantissant la traçabilité et la confidentialité des données, le respect des jalons et livrables, tout en maintenant une dimension relationnelle avec les parties prenantes, malgré l’automatisation du processus.
- Assurer la conformité et la traçabilité permanentes. Ce travail de suivi alimente directement le reporting de performance et les audits de conformité – notamment environnementale et de résilience – constituant ainsi un socle de preuve en cas de contrôle ou de contentieux.
- Évoluer vers un rôle de pilote stratégique : le contract manager n’est pas seulement «surveillant » du contrat, mais un réel animateur de performance, capable de relier les objectifs juridiques, économiques et environnementaux. En d’autres termes, la réforme du droit de la commande publique conforte le rôle du contract management comme outil de pilotage stratégique de la commande publique.
Léa ZEUFACK
Contract manager junior